Site AdN 09 juin 2006
Les patients psychiatriques dans la tourmente de la réforme de
Depuis de très nombreuses années,
Qu’on ne m’accuse donc pas ici de catastrophisme, l’expérience montre amplement que l’abandon thérapeutique complet* (qu’il s’agisse « classiquement » d’une « chimiothérapie psychotrope » - laquelle s’inscrit cependant toujours dans un cadre relationnel, c'est-à-dire « transférentiel », hommage au 150ème anniversaire de la naissance de Freud – ou d’un suivi psychothérapique à géométrie variable), débouche régulièrement sur une rechute, dont l’hospitalisation est encore la moindre des conséquences…
Mais les priorités gestionnaires
et l’impératif régulièrement proclamé de boucher le légendaire « trou de
C’est donc au nom de la loi du 13
août 2004** que nos confrères médecins conseils de
Lorsque le patient souffre d’une affection psychiatrique sévère qui nécessite parfois qu’il soit hospitalisé et/ou protégé dans les actes de la vie courante, ou encore qui le rend temporairement inapte au travail et à une vie sociale « normale », on comprendra aussi que cette nouvelle démarche imposée soit le cadet de ses soucis. De la dépression grave à la maladie d’Alzheimer, de la schizophrénie à la psychose maniaco-dépressive, les pathologies psychiatriques sont nombreuses qui créent un gouffre entre le patient et ses obligations administratives. Sachant aussi que les mesures de protection, outre leur lourdeur propre et leur dimension très restrictive pour le patient, sont longues à mettre en route, on conçoit à nouveau sans mal tous les accrocs qui peuvent survenir dans l’attribution de la prise en charge à 100%. Négligences (liées à sa pathologie) du patient, mais aussi négligences et surcharge de travail des tuteurs ou curateurs, des assistantes sociales, et évidemment des médecins, toutes peuvent conduire à des ruptures dans la prise en charge, dont le patient fera les frais en premier.
Mais le raffinement législatif va plus loin. Le décret du 4 octobre 2004*** est venu modifier les critères médicaux pour la définition des affections de longue durée en psychiatrie, en remplaçant l’intitulé antérieur « un peu fourre-tout »**** de « psychose, trouble grave de la personnalité, arriération mentale » par « Maladie d’Alzheimer et autres démences » et « Affections psychiatriques de longue durée ». Cette dernière appellation pourrait sembler en accord avec ce caractère très fréquent des pathologies psychiatriques, l’évolution longue, qui n’est évidemment pas systématiquement péjorative, bien au contraire – c’est là tout le sens de notre travail… En réalité, elle revient à exclure de la prise en charge à 100% des pathologies aiguës mais qui peuvent être graves, et qui nécessitent de toute façon une prise en charge soutenue à leur début, ceci pour prévenir leur chronicisation et/ou leur aggravation. Il en est ainsi pour les « troubles psychotiques aigus et transitoires (bouffées délirantes isolées) », sachant que ceux-ci ont souvent vocation à réapparaître, tout comme pour « l’épisode dépressif isolé, la réaction dépressive brève, la réaction aigüe à un facteur de stress et la dysthymie légère », dont on ne peut jamais anticiper l’évolution avec certitude. Le décret demande explicitement « de ne pas étendre à l’excès le cadre des troubles mentaux justifiant l’exonération du ticket modérateur » (de la prise en charge à 100%), et donne des exemples dont la discussion dépasse le cadre de ce texte.
Il demande aussi que la durée de l’affection ne soit pas inférieure à un an au moment de la demande, ce qui paraît aller à l’exact opposé de toutes les médiatisations bruyantes sur les cellules psychologiques d’urgence et la prise en charge précoce des troubles psychiques, notamment dans la prévention du suicide.
Enfin, toujours selon le même décret, « en psychiatrie, la sévérité du diagnostic n’est pas toujours corrélée [c’est moi qui souligne] à la sévérité du handicap qui en découle ». Cette dernière exigence, celle de conséquences fonctionnelles majeures en relation directe avec l’affection, paraît particulièrement discutable, puisqu’en reprenant rapidement les pathologies psychiatriques les plus courantes et les plus sévères (dépressions graves et schizophrénies), on mesure en un clin d’œil ce qu’elle peut avoir d’absurde, tant la sévérité du diagnostic est alors liée à la sévérité du handicap – sauf heureuses mais rares exceptions...
Nous espérons avoir pu montrer à quel point ces nouvelles mesures de la réforme de l’assurance maladie sont de nature à compromettre l’accès aux soins pour les patients psychiatriques, pour qui changer de lieu de consultation représente quasiment « un changement de planète », pour reprendre le mot du Docteur Jean Nouchi (Nice), spécialisé dans la prise en charge des addictions. Seuls éléments un tant soit peu rassurants dans cette tourmente, l’activité militante de l’ONRAM, l’Observatoire National de la réforme de l’Assurance Maladie*****, et l’échec aux récentes élections aux URML (Unions Régionales des Médecins Libéraux) des syndicats de médecins signataires de la convention médicale qui met en œuvre ces mesures.
Jean-Yves Feberey (psychiatre de service public)
* La
formule est choisie à dessein pour marquer l’ambigüité de toute situation de
soin : qui abandonne qui et comment ?
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Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie
NOR: SANX0400122L
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Décret n° 2004-1049 du 4 octobre 2004 relatif à la liste des affections
comportement un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement
coûteuse NOR : SANS0423075D
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http://www.onram.org/