Site AdN 09 juin 2006

Les patients psychiatriques dans la tourmente de la réforme de la Sécu

 

Depuis de très nombreuses années, la Sécurité sociale prend en charge à 100% du tarif dit « opposable » (ou « conventionnel ») les actes médicaux, les soins et les traitements médicamenteux en relation avec des affections qu’on appelait familièrement « longues et coûteuses ». Au fil du temps, les critères de prise en charge se sont – si on peut dire – affinés et depuis une bonne quinzaine d’année, un protocole relativement simple établi par leur médecin traitant (au sens premier - celui qui soigne -, et non récent et bureaucratique du terme) permettait aux patients de bénéficier de cette prise en charge à 100%, gage certain d’une grande accessibilité aux soins et d’un suivi médical régulier. On comprendra sans autre explication que cette mesure – tout comme la gratuité, heureusement toujours d’actualité, des consultations des Centres Médico-Psychologiques – permettait aux patients psychiatriques de bénéficier de la prise en charge au long cours qui leur est indispensable, sous peine de rechutes souvent catastrophiques, même si elles ne font pas toujours la une des journaux.

 

Qu’on ne m’accuse donc pas ici de catastrophisme, l’expérience montre amplement que l’abandon thérapeutique complet* (qu’il s’agisse « classiquement » d’une « chimiothérapie psychotrope » - laquelle s’inscrit cependant toujours dans un cadre relationnel, c'est-à-dire « transférentiel », hommage au 150ème  anniversaire de la naissance de Freud – ou d’un suivi psychothérapique à géométrie variable), débouche régulièrement sur une rechute, dont l’hospitalisation est encore la moindre des conséquences…

 

Mais les priorités gestionnaires et l’impératif régulièrement proclamé de boucher le légendaire « trou de la Sécu » imposait de mettre bon ordre à tout cela, c'est-à-dire d’instaurer autoritairement la désignation d’un « médecin traitant », appelé sans doute à devenir un otage de la bureaucratie et à perdre toute indépendance professionnelle (un des piliers de la pratique médicale, rappelons-le à nouveau…), et un « parcours de soins » qui s’apparente un peu à un « parcours du combattant », avec des sanctions financières sous forme de remboursements diminués au moindre faux-pas. Caricature ? Ce n’est pas si sûr…

 

C’est donc au nom de la loi du 13 août 2004** que nos confrères médecins conseils de la Sécurité Sociale nous écrivent désormais que, si le protocole rédigé par le psychiatre hospitalier (ou autre médecin intervenant dans l’urgence) est valable six mois, le patient devra quand même s’adresser à son « médecin traitant désigné » pour que celui-ci établisse un nouveau protocole avec les éléments que le premier médecin demandeur devra lui fournir. Sans rire, le praticien conseil annonce qu’il envoie également un courrier au patient pour lui demander de prendre contact avec son médecin traitant, afin que celui-ci établisse le protocole complété.

 

Lorsque le patient souffre d’une affection psychiatrique sévère qui nécessite parfois qu’il soit hospitalisé et/ou protégé dans les actes de la vie courante, ou encore qui le rend temporairement inapte au travail et à une vie sociale « normale », on comprendra aussi que cette nouvelle démarche imposée soit le cadet de ses soucis. De la dépression grave à la maladie d’Alzheimer, de la schizophrénie à la psychose maniaco-dépressive, les pathologies psychiatriques sont nombreuses qui créent un gouffre entre le patient et ses obligations administratives. Sachant aussi que les mesures de protection, outre leur lourdeur propre et leur dimension très restrictive pour le patient, sont longues à mettre en route, on conçoit à nouveau sans mal tous les accrocs qui peuvent survenir dans l’attribution de la prise en charge à 100%. Négligences (liées à sa pathologie) du patient, mais aussi négligences et surcharge de travail des tuteurs ou curateurs, des assistantes sociales, et évidemment des médecins, toutes peuvent conduire à des ruptures dans la prise en charge, dont le patient fera les frais en premier.

 

Mais le raffinement législatif va plus loin. Le décret du 4 octobre 2004*** est venu modifier les critères médicaux pour la définition des affections de longue durée en psychiatrie, en remplaçant l’intitulé antérieur « un peu fourre-tout »**** de « psychose, trouble grave de la personnalité, arriération mentale » par « Maladie d’Alzheimer et autres démences » et « Affections psychiatriques de longue durée ». Cette dernière appellation pourrait sembler en accord avec ce caractère très fréquent des pathologies psychiatriques, l’évolution longue, qui n’est évidemment pas systématiquement péjorative, bien au contraire – c’est là tout le sens de notre travail… En réalité, elle revient à exclure de la prise en charge à 100% des pathologies aiguës mais qui peuvent être graves, et qui nécessitent de toute façon une prise en charge soutenue à leur début, ceci pour prévenir leur chronicisation et/ou leur aggravation. Il en est ainsi pour les « troubles psychotiques aigus et transitoires (bouffées délirantes isolées) », sachant que ceux-ci ont souvent vocation à réapparaître, tout comme pour « l’épisode dépressif isolé, la réaction dépressive brève, la réaction aigüe à un facteur de stress et la dysthymie légère », dont on ne peut jamais anticiper l’évolution avec certitude. Le décret demande explicitement « de ne pas étendre à l’excès le cadre des troubles mentaux justifiant l’exonération du ticket modérateur » (de la prise en charge à 100%), et donne des exemples dont la discussion dépasse le cadre de ce texte.

 

Il demande aussi que la durée de l’affection ne soit pas inférieure à un an au moment de la demande, ce qui paraît aller à l’exact opposé de toutes les médiatisations bruyantes sur les cellules psychologiques d’urgence et la prise en charge précoce des troubles psychiques, notamment dans la prévention du suicide.

 

Enfin, toujours selon le même décret, « en psychiatrie,  la sévérité du diagnostic n’est pas toujours corrélée [c’est moi qui souligne] à la sévérité du handicap qui en découle ». Cette dernière exigence, celle de conséquences fonctionnelles majeures en relation directe avec l’affection, paraît particulièrement discutable, puisqu’en reprenant rapidement les pathologies psychiatriques les  plus courantes et les plus sévères (dépressions graves et schizophrénies), on mesure en un clin d’œil ce qu’elle peut avoir d’absurde, tant la sévérité du diagnostic est alors liée à la sévérité du handicap – sauf heureuses mais rares exceptions...

 

Nous espérons avoir pu montrer à quel point ces nouvelles mesures de la réforme de l’assurance maladie sont de nature à compromettre l’accès aux soins pour les patients psychiatriques, pour qui changer de lieu de consultation représente quasiment « un changement de planète », pour reprendre le mot du Docteur Jean Nouchi (Nice), spécialisé dans la prise en charge des addictions. Seuls éléments un tant soit peu rassurants dans cette tourmente, l’activité militante de l’ONRAM, l’Observatoire National de la réforme de l’Assurance Maladie*****, et l’échec aux récentes élections aux URML (Unions Régionales des Médecins Libéraux) des syndicats de médecins signataires de la convention médicale qui met en œuvre ces mesures.

Jean-Yves Feberey  (psychiatre de service public)

 

* La formule est choisie à dessein pour marquer l’ambigüité de toute situation de soin : qui abandonne qui et comment ?

** Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie
NOR: SANX0400122L

*** Décret n° 2004-1049 du 4 octobre 2004 relatif à la liste des affections comportement un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse  NOR :  SANS0423075D

**** La Revue Prescrire, février 2005, tome 25, n°258, pp 35-36

***** http://www.onram.org/